Le maintien des seniors à domicile est une question fondamentale que notre société devra traiter. Parce que l’on préfère vivre chez soi, ou le plus souvent pour une question de coût, ce sont 80 % des Français de plus de 80 ans qui vivent chez eux. Ce chiffre est avancé par l’émission Pièces à conviction dans son enquête « Faut-il garder Mamie à la maison », diffusée le 7 février dernier.
Ce constat implique la mise en place de nombreuses mesures : un service d’aide à domicile, un logement aménagé, et pour le sujet qui nous concerne, une offre alimentaire adaptée. Dans cet article, la rédaction Culture Nutrition fait le point sur l’existant et sur les axes d’amélioration auxquels nous devons nous atteler dès à présent.
Les grands seniors et leur rapport à l’alimentation
Selon l’enquête Senior Alimentation Santé publiée en 2018 :
- + de 90 % des seniors prennent plaisir à manger et sont satisfaits de la qualité de ce qu’ils mangent
- + de 90 % sortent faire leurs courses
- 60 % cuisinent tous les jours
Ces chiffres sont encourageants ? En effet. Mais l’étude est menée sur l’ensemble de la population senior, dont les plus jeunes ont… 65 ans. Or, on constate un basculement des comportements après l’âge de 87 ans avec l’accroissement de la solitude et la baisse de l’activité physique (et donc du nombre de sorties).
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Cela conduit à la segmentation présentée dans notre infographie sur l’alimentation des seniors. Nous avons d’une part les Babyboomers (entre 65 et 85 ans) ; d’autre part les grands seniors (+ de 85 ans). Et c’est bien à eux qu’une offre alimentaire spécifique doit être adressée en raison de leur forte exposition à la dénutrition.
La dénutrition des seniors : comment lutter contre ?
L’enjeu est de taille ! 2 millions de personnes en hôpitaux sont dénutries, 400 000 à domicile et 270 000 en EHPAD selon le Collectif de Lutte contre la Dénutrition (CLD). Ces chiffres permettent de conclure que les seniors vivant à domicile sont plus exposés à la dénutrition que ceux qui résident en EHPAD. Ce constat est très logique puisque les seniors y sont encadrés quotidiennement par le personnel soignant et les établissements bénéficient d’une organisation autour des CLANs (Comité de Liaison Alimentation Nutrition).
La dénutrition étant déclarée comme une cause de santé publique, le CLD mène depuis fin 2018 une campagne spécifique de lutte contre la dénutrition. De plus, le PNNS a fixé comme objectif de faire baisser la prévalence de la dénutrition de 15 % pour les + de 60 ans et de 20 % pour les + de 80 ans.
L’atteinte de cet objectif passe bien sûr par des campagnes d’information mais aussi et surtout par du concret. Que propose-t-on aux seniors qui ne peuvent ni faire leurs courses, ni cuisiner ?
Quelle offre alimentaire pour nos grands seniors ?
Une offre alimentaire adaptée aux seniors passe par plusieurs critères :
- L’enrichissement en protéines, calcium et énergie
- Une texture adaptée aux problématiques bucco-dentaires et de déglutition
- La prise en compte du déclin cognitif, causant bien souvent des troubles de la préhension
- La considération de la diminution d’appétit
- …
Qui plus est, elle se concrétise sous différentes formes, parfois surprenantes.
1. Les aliments spécifiques pour les seniors
Selon les troubles et les besoins associés, l’alimentation des seniors peut se présenter sous différents statuts et formes :
Aux Pays-Bas, Fortified Food Coatings a commercialisé en 2016 ses plats préparés enrichis pour les seniors en GMS. Pour préserver le goût et la texture des aliments, les plats sont recouverts d’un film alimentaire invisible enrichi en peptides de collagène, calcium et vitamine D.
Aux Etats-Unis, la société Thick-It, spécialisée dans les solutions alimentaires pour les personnes dysphagiques, propose toute une gamme de boissons pré-épaissies, plats préparés en purée et épaississants. Ces produits sont disponibles en grande surface, en pharmacies et en ligne.
En France, les initiatives sont cependant moins marquantes. Parmi celles que nous avons identifiées, il y a Charal, qui propose des petites portions adaptées aux seniors. Ou encore Yoplait qui a réussi à convaincre les plus de 50 ans avec Calin+. Mais pour le reste, l’offre est plus que limitée. Et les grands seniors ont tendance à se tourner vers des aliments de substitution (plats préparés par exemple), non adaptés à leurs besoins nutritionnels spécifiques.
Alors pourquoi l’offre est-elle si réduite ? Probablement parce qu’il est difficile de positionner un produit à destination des seniors (mauvaise compréhension de la cible, réticence à se sentir concerné quand il s’agit d’être « vieux »). Le « silver marketing » est un vrai sujet ! Ensuite parce que la grande surface n’est, pour le moment, pas considérée comme le lieu principal d’approvisionnement pour les grands seniors. En raison de leurs difficultés moteurs, la GMS peut rapidement devenir un terrain hostile (produits peu accessibles en hauteur, temps d’attente en caisse, objets lourds…). Les grandes surfaces ne convienne qu’aux seniors encore autonomes. Qu’en est-il de ceux qui ne peuvent plus faire leurs courses ?
2. Le portage à domicile comme solution n°1
Il s’agit, autrement dit, de la livraison de repas. Elle est en plein développement, avec quelques optimisations déjà perceptibles. En effet, en 2015, une enquête menée sur ce sujet a montré que 85 % des bénéficiaires manifestaient une insatisfaction : texture des aliments non adaptée, manque de conseil du personnel, manque de choix et de variété, coût, couverture des zones géographiques limitée [1]. Ces manquements vont probablement s’améliorer avec l’évolution du secteur :
- D’une part, les acteurs historiques du domaine font évoluer leur offre pour y apporter plus de goût et de personnalisation. Aux Etats-Unis, Blossom Foods a créé des menus 100 % adaptés aux troubles de la déglutition. En France, Saveurs et Vie a signé un partenariat avec L’Atelier des Chefs pour 12 recettes.
- D’autre part, le marché de la livraison de repas est bousculé par l’arrivée de géants de la grande consommation ou du food service. Nestlé et Elior, par exemple, ont chacun investit dans ce domaine. Si ces groupes investissent, il y a fort à parier qu’ils feront évoluer l’offre positivement. Dans la lignée de la livraison de repas préparés par des restaurants (Deliveroo…), c’est toute une économie qui se crée et se démocratise.
3. Pour aller plus loin : la Foodtech
Les solutions sont plus ou moins abouties mais n’en sont pas moins nombreuses !
- L’application Poids+. Elle aide les patients à enrichir eux-mêmes leurs repas à domicile grâce à des aides et idées, des rappels d’enrichissement et de pesée et un suivi par des médecins et diététiciens.
- Pour permettre aux seniors de consommer des repas à texture modifiée sans sacrifier l’esthétisme de l’assiette, l‘impression 3D apparaît comme une solution. Les aliments, préalablement mixés, retrouvent l’apparence d’aliments solides. Le concept est intéressant quand on connait l’impact du visuel sur l’appétit. Ainsi, Foodini commercialise une imprimante 3D auprès des professionnels comme des particuliers (en France depuis 2017). Si celle-ci se destine aux mordus de cuisine, on a du mal à se représenter un senior de 85 ans utilisant un tel appareil. Sans compter le coût d’acquisition.
https://www.youtube.com/watch?v=u9hldrCCW-M
- Encore un peu plus innovante, Ode est une horloge qui diffuse des senteurs alimentaires à des heures bien précises. Son rôle est de stimuler l’appétit, notamment chez les personnes atteintes de démence. Elle a été testée chez 50 patients qui avaient chacun pris 2 kg après 11 semaines d’utilisation.
La question qui reste en suspend demeure la faisabilité et la pénétration des foyers des grands seniors.
Quelles perspectives pour accompagner le maintien des seniors à domicile sur le plan nutritionnel ?
1. Distribuer l’offre de produits « Food Service » en grande surface ou en pharmacie
Comme nous l’avons vu plus haut, le besoin est grand ! Et transformer un aliment « classique » en aliment enrichi est une tendance bien concrète (nous en parlons dans notre carnet des tendances 2020). Il s’agit en effet de proposer des aliments tout aussi bons, mais dont les apports nutritionnels en calcium, protéines et autres nutriments conviennent aux seniors. Andros l’a fait avec sa gamme Force+, Bonduelle avec ses purées enrichies FortissiMmm!, Bel avec une Vache Qui Rit spécifique aux seniors. Tous ces produits sont destinés à la restauration hors domicile. Pourquoi, demain, ne pas les commercialiser auprès du grand public ? La démarche a déjà commencé en pharmacie avec la distribution, par exemple, du pain G-Nutrition de Nutrisens.
2. Engager les mutuelles pour soutenir l’alimentation des seniors à domicile
Sur d’autres thématiques, la MAAF propose un accompagnement sur les thématiques du sommeil et de la minceur. Generali, April et Axa permettent à leurs adhérents d’accéder au programme WW. Demain, pourquoi ne pas soutenir l’alimentation des seniors à domicile, en finançant le portage ou encore l’achat d’aliments spécifiques ? Aujourd’hui, la prise en charge du portage de repas n’a lieu que dans des cas particuliers comme la sortie de l’hôpital ou une maladie grave. Quant au remboursement d’aliments, il a déjà été testé (Allianz remboursant Danacol ou encore la MAAF avec Fruit d’Or pro-activ) mais le résultat est mitigé. La question de l’incitation commerciale se pose et la démarche a été décriée par des associations de consommateurs. Cependant, l’initiative serait perçue différemment s’il s’agit de grands seniors.
3. Envisager des partenariats avec des sociétés de livraison de repas
Deliveroo ou UberEats possèdent une force de frappe importante. Pourquoi ne pas compléter la clientèle actuelle avec une clientèle senior, avec une offre adaptée en qualité et en coût ?
4. Développer le conseil à domicile
L’un des freins du maintien à domicile est le manque d’aide. Comme l’explique l’enquête de l’émission Pièces à conviction, les Aides à domicile font scrupuleusement leur travail mais manque de temps passé avec les seniors. Aussi, pour adopter une bonne alimentation, ces seniors auraient besoin de conseils sur les quantités à consommer, à propos de la conservation des aliments, ou encore sur les aliments à privilégier. Qui peut leur fournir ces conseils ? Probablement les employés des sociétés de portage, après une 
formation sur les bases de l’alimentation.
Vous avez envie d’en savoir plus ? Nous vous invitons à télécharger la plaquette de notre carnet des tendances 2020 :nous y traitons la question de l’alimentation des grands seniors. Il contient également des idées de concepts produits à développer.
[1] Enquête menée par la CLCV auprès de 250 clients utilisant le portage à domicile.
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